Newsletter # 3 - Avril 2021 Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et distributeurs en assurance



L’arrêté du 6 janvier 2021 (NOR ECOT2100415A JO n° 0014, 16 janv. 2021) vient consacrer les lignes directrices de l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACPR) et constitue une nouvelle source importante de précisions pour les établissement assujettis aux obligations en termes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT). Quelques interrogations subsistent néanmoins.

Ce nouvel arrêté est l’occasion pour Qualité Assurance™ de faire le point.

I. Les principes juridiques


Compte tenu des risques que représentent le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour la société, les pouvoirs publics imposent aux intermédiaires d’assurance de déceler, de façon précoce, à travers les opérations réalisées, les personnes susceptibles de participer à des activités illicites.

Qui est concerné ?

Par principe, les obligations relatives à la LCB-FT concernent les intermédiaires d’assurance (Art. L.561- 2 du CMF).
 
Toutefois, ne sont pas concernés par les obligations de LCB-FT :
  Les mandataires d’assurance et les agents généraux, lorsque ceux-ci agissent pour leur activité d’agent général. Ces obligations sont en effet appliquées via les directives de leurs mandants, Les intermédiaires dont l’activité d’intermédiation en assurance constitue une activité financière accessoire (Art. R.561-4 du CMF).  
Ainsi, sont finalement soumis aux dispositions relatives à la LCB-FT, les courtiers d’assurance et les agents généraux lorsqu’ils ne vendent pas les contrats de leur mandant.


Quelles sont les principales obligations des intermédiaires d'assurance en matière de LCB-FT ?

Les intermédiaires d’assurance étant en relation directe avec le client, l’ACPR rappelle qu’ils sont les premiers maillons d’identification d’un risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
 
De ce fait, ils sont, notamment, tenus de mettre en place un dispositif de surveillance interne des opérations.

Le socle minimal attendu en matière de LCB-FT est le suivant :
  Elaboration de la classification des risques ; Mesures de vigilance mises en œuvre à l'égard de la clientèle ; Définition du profil de risque de chaque relation d'affaires ; Mise à jour du profil de risque à une fréquence définie selon une approche par les risques ; Examen renforcé ; Information et de déclaration à Tracfin ; Partage des informations nécessaires à la LCB-FT ; Protection de la confidentialité des déclarations ; Conservation des informations et documents. Une procédure interne doit également être instaurée en matière de tierce introduction1.
Un dispositif LCB-FT et des procédures internes en matière de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition doivent être mis en place, (art. R.562-1 du CMF), lesquels devront faire l’objet d’un contrôle interne.
 
Il s’agit là d’une obligation de résultat pesant sur les intermédiaires d’assurance. Cette obligation est systématiquement rappelée par le Commission des sanctions de l’ACPR : « Les exigences en matière de gel des avoirs s’appliquent à tous les clients, sans considération de revenu ou de patrimoine, et constituent une obligation de résultat » (Voir : ACPR, 4 févr. 2020, n° 2019-04 ; ACPR, 24 sept. 2019, n° 2018-08).
 
Les intermédiaires d’assurance doivent également :
  Se doter d’une organisation adaptée, incluant notamment une formation LCB-FT ; Désignation un responsable LCB-FT ; Enregistrement un contact auprès de Tracfin.  
Des aménagements sont prévus pour les intermédiaires de petite taille2.
 
Ils sont également tenus à une obligation déclarative de toutes sommes ou opérations portant sur des sommes dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine de prison supérieures à un an ou participent au financement des activités terroristes (Art. L561-15-I du CMF).
 
Ils doivent ainsi procéder à un examen de chaque opération suspecte avant d’adresser, le cas échéant, une déclaration à Tracfin par le biais du contact Tracfin désigné.

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1 Recours à un tiers (le « tiers introducteur ») pour la mise en œuvre des obligations de vigilance en matière de LCB-FT, prévues au premier alinéa des articles L.561-5 et L.561-6 du CMF.
 
2 Article 3 de l’arrêté du 6 janvier 2021, NOR ECOT2100415A JO n° 0014, 16 janv. 2021

II. Le rôle et les recommandations de l’ACPR


L’ACPR détient un rôle de contrôle des acteurs des secteurs bancaires et assurantiels quant à l’application de la règlementation prudentielle du secteur financier pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Afin de clarifier la mise en application et le respect des nombreuses règles édictées en la matière,
plusieurs avis et recommandations sont rendues par l’autorité de contrôle.
 
Ces derniers sont, a priori, dépourvus de caractère juridiquement contraignant.
 
Ils ont la particularité de reposer sur une base légale explicite, puisque le Code Monétaire et Financier donne expressément compétence à l’ACPR pour formuler des recommandations (Art. L. 612-29-1).
 
Si, en théorie, elles ne créent pas d’obligations dont l’inexécution pourrait être directement sanctionnée il reste qu’elles sont basées sur des normes de droit dont le non-respect peut être sanctionné. Ainsi, la méconnaissance des dispositions d’un avis ou d’une recommandation fait fréquemment présumer un manquement.
Ainsi, la souplesse de ces publications doit être fortement relativisée.
Les recommandations sont publiées dans un recueil disponible et accessible sur le site internet de
l’ACPR.

III. Le cas particulier des versements en espèces par les clients


En 2018, 130 sociétés ont été sanctionnées par l’ACPR, par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après DGCCRF) et par ses antennes régionales.
 
En 2020, les sanctions prises par les autorités tendent à se multiplier et sont désormais promises à une très large diffusion.
 
Récemment, plusieurs courtiers ont été condamnés pour avoir appelé des personnes inscrites sur la liste d'opposition au démarchage dénommée Bloctel dans le cadre de démarchages téléphoniques et de n'avoir pas fait expurger ses listes de prospects concernant ce même dispositif :

A. Le plafonnement des versements en espèces
 
Il n’est pas interdit au client de s’acquitter de sa prime directement entre les mains de l’intermédiaire d’assurance par un simple versement d’espèces. Toutefois, ce mode de paiement n’est autorisé que si le montant de la cotisation n'excède pas une
certaine somme.

En effet, « I. – Ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d'une dette supérieure à un montant fixé par décret (…) » (Art. L.112-6 du CMF).
 
Ainsi, le seuil de paiement est fixé à (Art. D. 112-3 du CMF) : 1 000 euros en espèces lorsque le débiteur a son domicile fiscal sur le territoire de la République française ou agit pour les besoins d'une activité professionnelle;
 
15 000 euros lorsque le débiteur justifie qu'il n'a pas son domicile fiscal sur le territoire de la République française et n'agit pas pour les besoins d'une activité professionnelle.
 
Dans sa publication de février 20153, l’ACPR avait précisé que la prime payée par l’assuré était qualifiée de dette au sens de l’article L.112-6 du CMF et que les plafonds de l’article D.112-3 du CMF avaient vocation à s’appliquer pour le montant global de la prime4.

Une incertitude est toutefois née dans la pratique quant à l’application du plafond. En effet, faut-il appliquer ce plafond par contrat ou par client et par année d’assurance ?
 
Si l’on retient une application par client et par année, cela signifie que seule la somme de 1.000 € pourrait être payée en espèces pour l’ensemble des contrats du client et sur une même année. Cette position entrerait parfaitement dans la logique mise en place pour la LCB-FT en évitant un maniement d’espèces trop important.

A l’inverse, s’il est retenu que ce montant s’applique pour chaque prime, et donc chaque contrat d’un client donné, la somme de 1.000 € pourrait être versée en espèces de nombreuses fois. Cette solution reviendrait à admettre, potentiellement, un flux considérable d’espèces pour un seul et même client, ce qui semblerait en inadéquation avec la logique de LCB-FT.

La lettre de l’article L.112-6 du CMF précise un montant pour chaque dette (entendue comme prime). Ainsi, et sous cette seule analyse, le plafond pourrait s’entendre comme étant applicable à chaque prime de chaque contrat d’assurance souscrit par le client.
Toutefois, la notion de « montant global de la prime » indiqué par l’ACPR ne permet pas de confirmer que le plafond s’applique par contrat. Ainsi, il persiste un doute quant aux modalités d’application du plafond de 1.000 €.

Du fait de l’absence de précision complémentaire, certains assureurs et intermédiaires sont venus limiter les paiements en espèces à 1.000 € par client et par année d’assurance.

B. Les obligations des intermédiaires en cas de doute 
 
Compte tenu de la position partagée des acteurs du secteur de l’assurance, il convient de faire preuve de prudence. Afin d’éviter tout reproche de l’ACPR et une éventuelle sanction pour non-respect des obligations de LCB-FT, il convient de plafonner le montant payable en espèces par l’assuré à la somme de 1.000 € par client et par année d’assurance.
 
En cas de précision de la part de l’autorité de contrôle, ces pratiques pourront éventuellement être modifiées.
En conséquence, les intermédiaires d’assurance sont encouragés à faire preuve de vigilance et à ne percevoir qu’au maximum 1.000 € par client, tout contrat confondu.
En effet, en cas de non-respect, différentes sanctions pourraient alors être prises à leur encontre :
 
Une sanction disciplinaire de l’ACPR, allant du blâme au retrait d’agrément, à laquelle peut s’ajouter une sanction pécuniaire au plus égale à 100 millions d'euros ou à 10 % du chiffre d'affaires annuel net (Article L.612-39 du CMF) ;
Une amende qui ne peut excéder 5 % des sommes versées. Le débiteur et le créancier sont solidairement responsables du paiement de cette amende (Article L.112-7 du CMF).  3 « Principes d’application sectoriels de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution relatifs à la lutte contre
le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour le secteur des assurances ».
 
4 « Le fait que la prime soit payée plusieurs fois est une modalité de règlement, et le montant global de la prime
est pris en compte pour l’application des plafonds ».



IV. Les contrôles réalisés et médiatisés


Les contrôles de l’ACPR en matière de LCB-FT ont été renforcés avec pas moins de 4 décisions rendues dans ce domaine depuis le 22 décembre 2020.
Dans sa dernière décision du 27 janvier 2021, la Commission des sanctions rend un blâme et une pénalité financière de 20.000 € à l’encontre de la société COTIZUP. Il s’agit là de la première condamnation d’un intermédiaire en financement participatif.

Les trois décisions précédentes viennent sanctionner plus sévèrement les établissements fautifs en admettant, notamment, des sanctions pécuniaires de 3 millions d’euros à l’encontre de ING BANK France et de 500.000 € à l’encontre de ATTIJARIWAFA BANK EUROPE.
  L’ACPR reste très attentive à l’application des obligations résultant de la LCB-FT et semble intensifier ses contrôles.


Newsletter rédigée par le Cabinet de Me Delphine LOYER, avocat spécialiste en Droit des Assurances, à la demande de Qualité Assurance™ 
 
Pour aller plus loin :
 
Les sources européennes et nationales de la LCB-FT :
 
- La 4ème directive n°2015/849 du 20 mai 2015, qui a été transposée en droit français par l’ordonnance du 1er décembre 2016 n°2016 2016-1635 pour la partie législative ;
 
- Le Règlement CE n°2015/847 du 20 mai 2015 relatif aux informations accompagnant les transferts de fonds ;
 
- Les articles L.561-2 et suivant et R.561-1 et suivant du Code Monétaire et Financier (CMF) ;
 
- Les articles A. 310-5 et suivant du Code des Assurances, A.114-2 du Code de la Mutualité à 2 et l’article A.951-3-3 du Code de la Sécurité Sociale.
 
 
Le 30 avril 2021.